COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.

 

VINGT-DEUXIÈME CONFÉRENCE
LA MISSION D'OCÉANIE SOUS LE
GÉNÉRALAT DU P. COLIN

 

Le sujet étant extrêmement vaste et complexe, on se propose seulement ici de donner un aperçu d'ensemble sur le développement de la mission et quelques remarques générales sur le rôle personnel qu'y joua le P. Colin.

1

POINT DE DÉPART ET SCHÉMA DU DÉVELOPPEMENT

 

Le bref Pastorale officium du 13 mai 1836 (doc. 390) avait mis sous la juridiction de Mgr Pompallier, vicaire apostolique de l'Océanie occidentale, un territoire immense dont on a vu qu'il comprenait, outre l'Océanie mariste actuelle, les Gilbert, les Marshall, les Carolines, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-lrlande, les îles de l'Amirauté, la Nouvelle-Guinée et îles adjacentes (cf. supra, p. 103).

Le 24 décembre 1836, Mgr Pompallier quitta le Havre, sur la Delphine, avec quatre pères et trois frères à destination de Valparaiso au Chili. Le plan premier était de se rendre, à partir de là, à Tonga et en Nouvelle-Zélande, Mgr Pompallier ayant décidé de commencer l'évangélisation de son vicariat par le sud et à partir de ces deux points. En fait, à Valparaiso, l'occasion se présente d'aller au nord, à Hawai., d'où on pourrait gagner les Carolincs, où l'île Ponapé (Ascension) offrait des espérances.

L'équipe missionnaire prend donc passage à Valparaiso sur un navire américain, l'Europa, dirigé à Hawai et qui fait escale aux Gambicr et à Tahiti. Dans cette dernière île, ayant découvert une goélette à louer, la Raiatea, ils abandonnent l'Europa et, reprenant le plan primitif, se dirigent vers les Tonga à Vavau.

Là, l'autorisation de s'installer leur est refusée par le roi Georges, méthodiste. Comprenant la nécessité de prendre pied là où les protestants ne sont pas encore installés, Mgr Pompallier gagne Wallis, où il arrive à la Toussaint 1837 et laisse le P. Bataillon et le frère Joseph. Puis, il se dirige avec la même intention vers Rotuma. Mais au passage à Futuna, devant les bonnes dispositions des naturels, il laisse le P. Chanel et le frère Marie-Nizier.

Dès lors, ne pouvant plus laisser personne à Rotuma, Mgr Pompallier se dirige vers la Nouvelle-Zélande, où il entend établir le centre de procure de toute sa mission, tout en prenant pied dans ces grandes îles avant que les progrès du protestantisme ne le lui interdisent. Après avoir fait escale à Sydney, il débarque dans la péninsule nord de l'île du Nord, à Hokianga, le 10 janvier 1838.

Au début de 1838, la mission mariste d'Océanie est donc divisée en deux groupes: celui de Wallis-Futuna et celui de Nouvelle-Zélande. Entre les deux, la distance est de plus de 2500 kilomètres. Mgr Pompallier, qui avait promis de retourner à Wallis et Futuna après six mois, ne pourra y aller qu'à la fîn de 1841: ce retard dramatique mettra en position fâcheuse les missionnaires vis-à-vis des indigènes et sera ainsi une des causes de la mort du P. Chanel.

Aussi bien, très vite apparaît la la nécessité d'une division du vicariat primitif. Le P. Colin l'esquisse dans un rapport du 26 mai 1842 à la Propagande, où il préconise à plus ou moins brève échéance la création des vicariats suivants: 1 ) Nouvelle-Zélande; 2) Wallis, Futuna, Tonga, Samoa, Fiji; 3) Nouvelle-Calédonie, Nouvelles-Hébrides, Salomon; 4) Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Bretagne; 5) Carolines.

En pratique, dès le 23 août 1842, sera créé le vicariat de l'Océanie centrale, comprenant Wallis, Futuna, Tonga, Samoa, Fiji et Nouvelle-Calédonie. A son évêque, Mgr Bataillon, sera donné un coadjuteur, Mgr Douarre, avec charge particulière de la Nouvelle-Calédonie. C'était là l'amorce d'un vicariat autonome de Nouvelle-Calédonie, qui sera créé le 13 juillet 1847. Enfin, le 19 juillet 1844, seront créés deux vicariats: celui de Micronésie, comprenant les îles au nord de l'Equateur, où les Maristes ne pénétreront jamais, et celui de Mélanésie (Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Bretagne, Nouvelle-Irlande, Salomon).

Ce schéma de développement fournit tout naturellement le plan des brèves notes ci-dessous, où l'on considérera successivement la Nouvelle-Zélande, l'Océanie centrale, la Nouvelle-Calédonie, la Mélanésie.

 

2

LA NOUVELLE ZÉLANDE

1 . Succès initiaux ( 1838-1841 ).

Le 10 janvier 1838, Mgr Pompallier débarque à Hokianga avec le P. Servant et le frère Michel. Rapidement, ils commencent à exercer leur ministère auprès des Irlandais et des Maoris. Quand arrive, en 1839, le secçmd envoi de missionnaires, une seconde fondation a lieu à Kororareka, puis en 1840 une troisième à Wangaroa.

Cette même année, ils commencent a pénétrer dans le corps même de l'île du Nord, puis dans celle du Sud à Akaroa, où s'installe une compagnie française. Dans un rapport à la Propagande du premier novembrc 1841, Mgr Pompallier annonce les chiffres de 164 tribus venues à la foi catholique, 45.000 catéchumènes et 1000 néophytes.

2. Premières difficultés.

En réalité, derrière ces succès apparents se profilaient dc sérieuses difficultés, en raison des méthodes trop expéditives et parfois imprudentes grâce auxquelles ils avaient été obtenus.

D'une activité fébrile visant aux résultats spectaculaires, Mgr Pompallier administre parfois le baptême après quinze jours de catéchuménat. Mais, à l'inverse des protestants, il n'a pas de livres pour enraciner la docirine chrétienne chez les nouveaux chrétiens. Il se réserve entièrement les traductions, mais comme il connaît mal la langue, ses ouvrages ne sont pas pris au sérieux.

Financièrement, ces premières années sont désastreuses pour la mission. De trop grandes libéralités envers les indigènes épuisent les ressources; un train de vie trop élevé à la résidence épiscopale, l'achat d'une goélette font contracter de grosses dettes.

Par ailleurs, la fondation de nombreuses stations conduit à éparpiller les pères, qui souffrent de l'isolement et plus encore d'une véritable misère, d'où de vives plaintes contre Mgr Pompallier accrues par le caractère susceptible de ce dernier, qui se montre extrêmement jaloux de son autorité.

Inquiété par les demandes d'argent de Mgr Pompallier et les traites qu'il est obligé de paycr pour lui, non moins que par les plaintes des missionnaires, le P. Colin envoie, à la fin de 1841, le P. Forest comme visiteur en Nouvelle-Zélande. Vers le même moment, il reçoit de Mgr Pompallier une longue lettre d'invectives écrite le 17 mai 1841: l'évêque reproche au supérieur général d'être la cause des diflicultés de la mission par les retards qu'il met à envoyer argent et missionnaires et par les instructions qu'il donne à ces derniers.

3. Les décisions de 1842.

A la suite dc ces difficultés, le P. Colin envoie à la Propagande le projet de division du vicariat primitif déjà cité plus haut et se rend en personne à Rome au mois de mai 1842. Ses démarches ont un double résultat:

- Sur lc plan territorial, un nouveau vicariat est créé, celui du centre, ce qui ôte à Mgr Pompallier Wallis, Futuna, Fiji, Tonga, Samoa, Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, Mgr Pompallier est autorisé à se choisir un coadjuteur, ce qu'il fera en la personne de Mgr Viard, qui sera nommé à ce poste le 7 février 1845.

- Sur le plan des principes, le problème des rapports entre vicaire apostolique et supérieur général fait l'objet de trois décrets successifs de la Propagande, en date des 30 juin, 31 août et 16 septembre 1842. Les deux derniers, dans l'élaboration desquels est intervenu le P. Roothan, général des Jésuites, enjoignent au vicaire apostoliquc de faire passer sa correspondance avec la Propagande par les mains du supérieur général. Le P. Colin voit là une source dc difficultés et essaye en vain de faire suspendre les effets de ce texte. Effectivement, ce décret ne fait qu'aggraver le malaise et sera rapporté le 9 décemhre 1845.

- Au début dc 1843 arrive en Europe le P. Epalle, qui vient rendre compte au P. Colin de l'état de la mission de Nouvelle-Zélande. Mgr Pompallier le désavoue, lui enjoint de ne pas retourner et refuse l'envoi de nouveaux missionnaires maristes. Désormais, le P. Colin n'enverra plus personne à Mgr Pompallier. Quant au P. Epalle, il est nommé vicaire apostolique des vicariats de Mélanésie et Micronésie.

4. Division de la Nouvelle-Zélande.

Au printemps 1846, Mgr Pompallier se rend en Europe pour plaider sa cause à Rome. Il y arrive en septembre. Le P. Colin s'y rend lui-même pour la quatrième fois au mois de novembre. Tous deux y resteront plus de six mois.

L'affaire se traite lentement. Le premier mai 1847, Mgr Pompallier donne sa démission, mais peu après supplie les cardinaux de la Propagande de ne pas l'accepter. Le 7 juin 1847, la Propagande repousse en effet la démission et décide la création de deux évêchés en Nouvelle-Zélande.

Le P. Colin, apprenant cette décision, croit devoir aller au pape lui-même et lui révéler les raisons qui lui font craindre un retour de Mgr Pompallier dans sa mission, notamment son penchant pour la boisson.

Dès lors, la Propagande hésite et cherche à temporiser, mais le 29 mai 1848, sont définitivement créés deux évêchés en Nouvelle-Zélande: celui d'Auckland, dont Mgr Pompallier aura le titre d'administrateur apostolique et pour lequel il devra lui-même se chercher des missionnaires; celui de Port Nicholson ( Wellington ) , confié à Mgr Viard avec le même titre d'administrateur apostolique et qui sera tenu par les Maristes. En fait, même avec ce dernier, des difficultés surgiront. Quant à Mgr Pompallier, il aura les plus grandes peines à se recruter un clergé, et la Nouvelle-Zélande ressentira ainsi durement le coup des difficultés surgies entre le premier vicaire apostolique et le P. Colin.

 

3

LES MISSIONS DU CENTRE

L'histoire de l'évangélisation de l'Océanie centrale est dominée par une grande figure missionnaire, celle de Mgr Bataillon. Homme de fer, dur pour lui-même et pour les autres, d'un grand ascendant sur les indigènes, il est aussi celui qui a les vues missionnaires les plus profondes et les plus justes. Son caractère le mettra lui aussi en conflit avec le P. Colin, mais grâce à lui, la Société prend pied dans quatre des vicariats maristes actuels: Wallis et Futuna, Tonga, Fiji, Samoa.

1. Wallis et Futuna.

A Wallis, où il a été déposé à la Toussaint 1837 avec le frère Joseph, le P. Bataillon, s'appuyant sur Tungahala, le chef de la petite île de Nukuatea, fait de cette dernière un centre pour ses catéchumènes, qui y sont déjà un millier en 1840. A cette époque, après un conflit évité, les nouveaux chrétiens commencent la conversion de la grande île. A son passage en fin 1841, Mgr Pompallier peut baptiser 2500 néophytes. L'île est dès lors presque entièrement. chrétienne. Mais au cours des années suivantes, le retour à Wallis de certains habitants qui s'étaient convertis au protestantisme à Tonga vient réveiller des rivalités politiques et religieuses. En 1851, toutefois, les derniers protestants quitteront Wallis, qui depuis lors est restée jusqu'à nos jours entièrement catholique.

A Futuna, ont été déposés, le 12 novembre 1837, le P. Chanel et le frère Marie-Nizier. D'un tempérament moins fougueux que le P. Bataillon, le P. Chanel apprend lentement la langue et ne peut guère commencer à évangéliser que vers 1840. En avril 1841, il n'a que quinze catéchumènes, dont le fils du roi, Meitala. Cette dernière conversion suscite la colère du roi et un complot contre le missionnaire, qui est martyrisé le 28 avril 1841. Un an plus tard, Mgr Pompallier arrive à Futuna, y ramenant le frère Marie-Nizier, qui s'était réfugié à Wallis, et y amenant les PP. Servant et Roulleaux. Dès lors, l'île se convertira rapidement, et en 1845 elle sera entièrement chrétienne.

En prenant pied en 1837 dans ces deux îles non encore touchées par le protestantisme, Mgr Pompallier avait vu juste. Non seulemcnt elles purent se convertir entièrement, mais les deux chrétientés modèles qui y furent créées servirent de refuge à des catéchumènes d'autres archipels qui plus tard purent retourner porter la foi chez eux. En ce sens, leur importance tactique pour l'évangélisation de l'Océanie centrale s'est révélé très grande, et ç'a été un des mérites de Mgr Bataillon de savoir tirer parti de cette situation.

2. Tonga.

En 1837, Mgr Pompallier, on l'a vu, s'était vu refuser l'autorisation de s'installer à Vavau dans les Tonga, archipel déjà presque entièrement dominé par les méthodistes. En juillet 1842, cn revenant de son voyage à Wallis-Futuna, il dépose dans le même archipel, mais cette fois à Tonga-Tabu, le P. Chevron et le frère Attale. Ceux-ci reçoivent l'autorisation de s'installer dans le villlage de Pea, resté jusque là païen.

En 1844, Mgr Bataillon, sous la juridiction duquel Tonga a passé comme tout le reste de l'Océanie centrale, y fait une visite pastorale. Mais la situation des catholiques dans ce milieu protestant reste précaire. En 1852, le village de Pea est pris et rasé, mais le catholicisme peut se reconstituer à Mua. En 1855, l'intervention de la France obtiendra du roi Georges la liberté de culte pour les catholiques tongiens.

3. Fiji.

En juin 1842, au cours de son voyage de retour, Mgr Pompallier avait essayé de laisser deux missionnaires dans l'archipel des Fiji à Lakemba, mais en vain.

En août 1844, Mgr Bataillon envoie dans la même île les PP. Roulleaux et Bréhéret, qui se heurtent aux méthodistes. En 1847, ils ont une centaine de catéchumènes, mais l'arrivée d'un nouveau chef renforce l'influence méthodiste et réduit à néant leurs efforts. En 1851, arrive du renfort pour les missionnaires, qui prenncnt pied à Levuka et dans l'île Taveuni mais doivent abandonner ces postes l'année suivante, tandis qu'ils s'établissent à Viti-Levu. Là non plus, il ne sera pas possible de se maintenir et, en 1855, Mgr Bataillon ordonnera un rcpli général de tous les pères de Fiji sur Levuka.

Cette mission de Fiji, à laquelle Mgr Bataillon tenait en raison de son importance stratégique, fut une source de difficultés entre lui et le P. Colin. Ce dernier demandait l'abandon de cette mission, trop ingrate et trop exposée. Devant l'insistance de Mgr Bataillon, il consentit à envoyer pour elle, en 1849, quatre missionnaires pour renforcer ceux qui s'y trouvaient déjà trop isolés. En fait, avec ces nouvelles forces, Mgr Bataillon s'empressera dc prendre pied ailleurs. A partir dc cette date, le P. Colin ne lui enverra plus personne.

4. Samoa.

En 1845, Mgr Bataillon, soucieux d'occuper systématiquement, pour arrêter les progrès du protestantisme, tous les archipels de sa juridiction, fonde deux stations à Samoa: l'une dans l'île de Savai et l'autre dans celle d'Upolu, à Apia. Il y envoie deux pères, un frère et deux samoans convertis à Wallis.

Dès l'année suivante, l'Arche d'alliance, le navire de la société française d'Océanie, amène des renforts, et Mgr Bataillon vient faire sa première visite pastorale. La mission est très dure, mais les pères s'y maintiennent plus aisément qu'à Fiji.

Le 28 août 1851, le Saint-Siège détache Samoa du vicariat de l'Océanie centrale dans l'intention de le confier à Mgr Douarre, chassé de Nouvelle-Calédonie. Mais ce dernier entendant retourner dans cette île, Samoa reste comme vicariat distinct sous la juridiction de Mgr Bataillon. En 1854, la construction de la cathédrale d'Apia symbolise l'implantation solide du catholicisme dans cet archipel.

Il convient de signaler, enfin, l'essai fait par Mgr Bataillon à Rotuma, où une mission est fondée en 1846 mais doit être abandonnée après une série de guerres en 1853. Des catéchumènes y sont laissés, qui persévéreront jusqu'à la reprise de la mission en 1868.

5. Bilan des missions du centre.

L'audace de Mgr Bataillon et son tcrnpérament qui le pousse à exiger de tous un héroïsme égal au sien permettent aux Maristes de prendre pied sur tous les points névralgiques de son vicariat. En 1845, avec douze hommes, l'évêque tient toute la Polynésie mariste. La conséquence inévitable est l'isolement et l'épuisement des missionnaires. C'est pour défendre ces derniers que le P. Colin lutte et qu'il ira, en dernier ressort, jusqu'à suspendre les départs. Mais, au point de vue missionnaire, cette implantation rapide évite le pire. Les difficultés avec la Société de Marie auront elles-mêmes un résultat positif, puisqu'elles pousseront Mgr Bataillon à faire une église indigène et influeront sur la rédaction, en 1857, d'un règlement général des missions.

 

4

NOUVELLE- CALÉDONIE

On ne sait pas précisémcnt ce qui, en 1841, a attiré l'attention du P. Colin sur la Nouvelle-Calédonie. Mais c'est un fait qu'il songe à y ouvrir une mission et que, lors de la création du vicariat de l'Océanie centrale, le 23 août 1842, un coadjuteur est donné à Mgr Bataillon avec charge toute particulière de la Nouvelle-Calédonie.

Ce coadjuteur est Mgr Douarre, encore novice au moment de sa nomination. Sacré à Lyon, il sacrera lui-même Mgr Bataillon à Wallis en 1843. Excellent missionnaire, c'est à son courage et à son zèle que le catholicisme et la Société de Marie doivent d'avoir pu s'établir en Nouvelle-Calédonie au terme de trois essais également difficiles.

1. Premier essai ( 1843-1847 ).

A Wallis, où il est venu sacrer Mgr Bataillon, Mgr Douarre, parti de France avec de nouveaux missionnaires aussi inexpérimentés que lui, prend pour l'accompagner le P. Viard. L'équipe missionnaire touche Balade au nord de l'île le 21 décembre 1843.

La Nouvelle-Calédonie n'a pas encore, à ce moment, de protestants. Le P. Viard, qui connaît le wallisien apprend vite, grâce à des Wallisiens établis en Nouvelle-Calédonie, le dialecte local et l'enseigne aux autres. Au 15 août 1844, quelques catéchumènes sont déjà réunis. L'année suivante, le P. Viard, nommé coadjuteur de Mgr Pompallier, doit regagner la Nouvelle-Zélande.

En septembre 1846, Mgr Douarre se rend en Europe pour exposer les besoins de sa mission. Une des conclusions de son voyage sera l'érection de la Nouvelle-Calédonie en vicariat indépendant le 13 juillet 1847.

Mais quelques jours après, alors que l'évêque est encore en Europe, les indigènes, poussés par la famine, attaquent la mission fortifiée de Balade, où se trouvent des réserves de vivres. Le frère Blaise Marmoiton, blessé, est sauvagement achevé. Les missionnaires se réfugient à Pouébo, où ils subissent un nouveau siège. Délivrés par une corvette française, ils se replient sur Sydney. Le premier essai est terminé.

2. Second essai (1848-1850).

Le 20 avril 1848, le P. Rougeyron, provicaire, tente avec l'Arche d'alliance une reconnaissance sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie mais ne peut s'établir nulle part. Il se fait déposer alors, avec un père et deux frères, à Anatom, l'île la plus méridionale des Nouvelles-Hébrides.

En mai, une tentative d'établissement à Uvea (Loyalty) échoue. Mais en août, on prend pied à l'île des Pins, où est laissé le P. Goujon.

En septembre 1849, Mgr Douarre, revenu d'Europe, débarque à Anatom et de là pénètre à nouveau dans la grande terre. Mais au bout de quelques mois, il est clair qu'on ne pourra se maintenir. Les pères se replient sur l'île des Pins, et une centaine de catéchumènes sont dirigés sur Futuna. C'est la fin du second essai.

3. Troisième essai ( 1851 ) .

A Sydney, vers la fin de 1850, Mgr Douarre apprend qu'il est question de le nommer vicaire apostolique de Samoa, la Nouvelle-Calédonie étant considérée comme abandonnée. Il demande et obtient, au contraire, de tenter un nouvel essai.

Le 23 mai 1851, il aborde de nouveau à Balade, où la mission est rétablie ainsi qu'à Pouébo. Les catéchumènes sont alors ramenés de Futuna et constituent le noyau de solides chrétientés. Mais deux ans plus tard, Mgr Douarre, épuisé par les fièvres, meurt à Balade. A la demande du P. Colin, aucun nouvel évêque n'est nommé, et le P. Rougeyron dirige la mission avec le titre de provicaire. En 1853, l'annexion de la Nouvelle-Calédonie à la France vient garantir la sécurité des missionnaires et l'avenir du catholicisme dans l'île.

A l'histoire de la mission de Nouvelle-Calédonie doit être rattachée la tentative d'établissement aux îles Santa Cruz, entre les Nouvelles-Hébrides et les Salomon. Trois missionnaires de l'île des Pins partirent dans cette direction en septembre 1851 et furent déposés dans l'île Tikopia. Depuis, nul ne sait ce qu'ils sont devenus.

 

5

MÉLANÉSIE

 Le 19 juillet 1844, sont créés par le Saint-Siège deux vicariats nouveaux demandés par le P. Colin depuis 1842: celui de Micronésie comprenant les îles au nord de l'Equateur, et celui de Mélanésie englobant Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Bretagne et Salomon. Tous les deux sont mis sous la juridiction de Mgr Epalle, qui avait débuté en Nouvelle-Zélande avec Mgr Pompallier.

Les Maristes n'auront jamais l'occasion de pénétrer en Micronésie. Quant à la mission de Mélanésie, elle durera dix ans et se soldera par un échec. On peut y distinguer trois phases principales: celle de Mgr Epalle, celle de Mgr Collomb et celle des missionnaires de Milan.

1 . Mgr Epalle ( 1845 ).

Sacré à Rome le 21 juillet 1844, parti de Londres le 2 février 1845 avec sept pères et six frères, il touche Sydney le 22 juin de la même année et, le premier décembre, aborde l'île San Cristoval, la plus au sud de l'archipel des Salomon. Après une brève reconnaissance, on poursuit vers l'île Ysabel, plus centrale. Mais là, le 16 décembre 1845, au premier contact avec lcs indigènes, Mgr Epalle est massacré. Les missionnaires reviennent alors à San Cristoval, où ils se fixent au début de 1846, sous l'autorité du P. Fremont, provicaire.

2. Mgr Collomb (1845-1848).

Lc 26 octobre 1845, un coadjuteur avait été donné à Mgr Epalle en la personne d'un jeune missionnaire, Mgr Collomb. Parti le 15 novembre, il apprend à Tahiti, le 14 juillet 1846, la mort de Mgr Epalle, qui fait de lui le vicaire apostolique de Mélanésie et Micronésie. Il se rend au plus vite à San Cristoval voir ses missionnaires puis va se faire sacrer par Mgr Viard et, après avoir, au cours d'une escale en Nouvelle-Calédonie, échappé au massacre où périt le frère Blaise, il se retrouve à San Cristoval en août 1847.

Là, il apprend que, le 20 avril précédent, avaient été massacrés trois missionnaires: les PP. Paget et Jacquet et le frère Hyacinthe. Après quelques jours de consultation, l'évêque décide d'abandonner San Cristoval et se transfère avec les missionnaires à l'île de Woodlark, à 200 kilomètres de la Nouvelle-Guinée.

Au printemps de 1848, profitant d'un passage d'un des navires de la société de l'Océanie, Mgr Collomb voudrait aborder en Nouvelle-Guinée ou en Nouvelle-Bretagne mais doit se contenter d'établir une station dans la petite île de Rook, située entre les deux. Il y meurt d'épuisement le 16 juillet 1848, suivi quatre mois plus tard par le P. Villien. En mai 1849, les autres missionnaires de Rook se replient alors sur Woodlark.

3. Missionnaires de Milan ( 1852-1855 ).

En août 1850, faisant droit à une requête du P. Colin, la Propagande décide d'ôter à la Société de Marie la responsabilité de la Mélanésie et de la Micronésie. Celle-ci est donnée, en 1851, à des pères du séminaire des missions étrangères de Milan, avec à leur tête le P. Reina, vicaire apostolique.

Au moment de leur départ en 1852, vu les mauvaises nouvelles reçues de Mélanésie, on les laisse même libres de préférer à cette dernière mission celle de Fiji. Mais Mgr Bataillon, qu'ils rencontrent à Sydney, n'agrée pas leurs services pour Fiji et ils se dirigent alors vers Woodlark, où ils débarquent en octobre 1852.

Dès l'année suivante, les Maristes, après avoir initié leurs successeurs, se retirent. Après trois ans d'efforts et la perte de plusicurs des leurs, les missionnaires seront obligés à leur tour d'abandonner la Mélanésie. Ce n'est qu'en 1897 que la Société recommencera, à la demande du Saint-Siège, la mission des Salomon.

 

6

LE P. COLIN ET LES MISSIONS D'OCÉANIE

 Le rôle personnel du P. Colin en cette tragique mais glorieuse histoire fut très grand. On peut essayer de le résumer brièvement sous quelques têtes de chapitre.

Tout d'abord, dès la division du vicariat primitif en 1842, la tactique générale, les plans de division et de répartition ne sont plus du ressort d'aucun des évêques. C'est à la Propagande et au P. Colin qu'il revient d'envisager dans son ensemble le problème de l'évangélisation de l'Océanie occidentale. Le rôle du P. Colin est là décisif. A peu de chose près, c'est son plan de 1842 qui sera réalisé au cours des douze années suivantes.

A cette Océanie qu'il ne verra jamais, le P. Colin envoie les meilleurs de ses fils : 74 pères, 26 petits frères de Marie, 17 frères coadjuteurs partent en quinze envois successifs. C'est un lourd sacrifice pour la Société, encore peu nombreuse. Là-dessus, 21 missionnaires trouveront la mort avant 1854. A partir de 1849, le P. Colin n'envoie plus personne, ne pouvant obtenir des évêques des assurances sur le sort spirituel et matériel des missionnaires. Plus profondément, il semble avoir connu une crise de doute sur l'opportunité pour une société religieuse de prendre directement en charge une mission; mais il n'alla jamais jusqu'à envisager l' abandon. Dès 1855, les départs recommenceront.

De ces missionnaires qu'il a envoyés, le P. Colin prend courageusement en main les intérêts. Avant tout, il désire que leur sécurité et leur vie spirituelle ne soient point mises en cause par l'isolement et qu'ils puissent vivre conformément à leur règle. Les évêques, au contraire, par désir d'occuper le plus grand nombre de stations possible pour enrayer l'avance du protestantisme, tendent à la dispersion des pères. Dans les luttes qu'il soutient avec eux, le P. Colin défend l'existence de la Société comme telle, dont les membres, pour être soumis à l'évêque, n'en sont pas moins religieux.

Sur le plan juridique, par ses discussions avec la Sacrée Congrégation de la Propagande et les évêques, il prépare la solution de cet épineux problème des relations entre l'autorité épiscopale et celle de la Société. Le réglement publié en 1857 est l'aboutissement de ses efforts, et celui que le Saint-Siège émettra en 1921 sera encore plus proche des thèses qu'il n'avait cessé de soutenir.

Par ailleurs, le P. Colin a soutenu les initiatives les plus généreuses et les plus audacieuses pour le bien des missions: laïcat missionnaire (v.g. M. Perret, Mlle Perroton), société française de l'Océanie et même clergé indigène, dont d'autres Maristes, tels le P. Poupinel, n'étaient pas partisans.

Enfin, il a donné aux missionnaires partants un style de vie, une spiritualilé définie, dont vivent encore leurs successeurs aujourd'hui.

A tous ces titres, il mérite bien le titre que lui a décerné son premier biographe, celui de père des Océaniens.