COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.

 

DIX-SEPTIÈME CONFÉRENCE
LES CONSTITUTIONS DE 1842

Après avoir fait connaissance avec la personne du P. Colin général et étudié rapidement les grandes lignes de sa conception de la Société de Marie, il convient d'examiner comment, à partir de ces idées, il a organisé et gouverné la congrégation. Dans la présente conférence, on étudiera la pièce principale de ce plan de gouvernement, en l'espèce les constitutions telles qu'elles ont été fixées en 1842 et expliquées sous le généralat du P. Colin.

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LES CONSTITUTIONS AVANT 1842

1. A Cerdon.

C'est dès le temps de son vicariat à Cerdon, on l'a vu, que l'abbé Colin a commencé à rédiger les constitutions de la Société de Marie, dont le projet avait été lancé au grand séminaire (cf. 5e conférence). Une rédaction latine, fruit de ce travail, fut présentée au nonce à Paris en novembre 1822 et remise par lui à Mgr Devie en juin 1823 (cf. 6e conférence).

Le contenu de cette première règle ne nous est connu que par de rares allusions du P. Colin (cf. supra, p. 43), par la lettre à Pie VII du 25 janvier 1822 (doc. 69) et par deux petits textes qui sont manifestement en relation avec les remarques faites par le nonce au P. Colin (cf. doc. 82, §§ 2-3, et Ant. textus, textes h et g: fasc. 1, pp. 19-24).

Ces derniers textes semblent s'adresser à une communauté monastique rigoureuse plus qu'à la Société telle qu'elle fut réalisée par la suite. On notera les mortifications corporelles (h, 12), les voeux solennels (h, 3), l'office en commun (h, 6-11), les pénitences publiques (h, 7-8), la reclusion des religieux rebelles pour lesquels trois cellules sont prévues (h, 13), les rapports qui unissent la communauté des religieux à celle des religieuses (cf. h, 17 et g, 4). On a là le rêve d'un jeune prêtre généreux qui entrevoit la vie religieuse à travers ce qu'il peut connaître des anciens ordres monastiques sans avoir encore réalisé les exigences particulières d'une congrégation active appelée à exercer son apostolat au XIXe siècle.

Pourtant, dès ce moment, la finalité apostolique de la Société et la variété de ses ministères sont clairement affirmées en parallèle avec ceux de la Compagnie de Jésus, que le P. Colin connaissait à travers Rodriguez (cf. doc. 69, § 3). La dualité entre une conception monastique, écho des aspirations personnelles de Jean-Claude Colin, et la congrégation missionnaire à l'image des Jésuites dont M. Courveille avait lancé l'idée au grand séminaire (cf. supra, pp. 25-29) est ainsi caractéristique de cette première règle. Cette dualité même annonçait et appelait une refonte profonde des constitutions.

2. De 1825 à 1833.

En 1825, commence pour les Maristes de Belley la vie missionnaire dans le Bugey. A l'intention de ce groupe, l'abbé Colin rédige un règlement (cf. supra, p. 72). En dehors de ce texte, il n'a sans doute plus guère le temps d'élaborer des règles. Par ailleurs, les exigences concrètes de la vie missionnaire ne peuvent pas ne pas faire sentir à l'ancien vicaire de Cerdon l'impossibilité pratique d'allier la vie monastique dont il rêve avec les ministères qui doivent être ceux de la Société.

Mis à la tête du collège de Belley en 1829, l'abbé Colin doit là aussi légiférer (cf. supra, p. 80, et Ant. textus, fasc. l, pp. 25-40). Mais il le fait avec une maturité et un sens du possible qui montrent le chemin parcouru depuis son vicariat. Pour ce qui est de la vie interne de la communauté mariste, il a mis de côté les exigences du texte de Cerdon et se contente de pratiques très simples (cf. doc. 221, § 2) résumées sur un petit agenda (cf. doc. 625, § 25), attendant qu'une règle soit acceptée d'un commun accord par les pères de Belley et de Lyon (cf. docc. 224, § 4, et 227, § 2).

Toutefois, le supérieur central s'emploie à refondre entièrement, en vue de l'approbation romaine, la règle de la Société. Le travail est bien avancé au printemps de 1833 (cf. doc. 268, § 3) et, à l'été suivant, l'abbé Colin porte à Rome un texte qu'il ne considère que comme un « abrégé de la règle des prêtres » (cf. doc. 298, § 2). Il faut sans doute entendre par là que le cahier qu'il apporte laisse de côté, d'une part, beaucoup de points de détail mentionnés dans la règle primitive et pas encore définitivement abandonnés et, d'autre part, des développements que l'abbé Colin se propose de faire par la suité. Autrement dit, on se trouve encore dans un stade intermédiaire et provisoire. S'il désire obtenir l'approbation de la Société (cf. supra p. 90), l'abbé Colin n'entend certainement pas obtenir celle de la règle.

Cette règle abrégée apportée à Rome en l'été 1833 nous est connue à travers le Summarium, composé à Rome même l'automne suivant et qui donne un aperçu des règles des quatre branches (cf. supra, p. 93, et Ant. textus, fasc. 1., pp. 65-87). Pour s'en tenir à ce qui y concerne les prêtres, on notera le caractère extrêmement mesuré et sage des prescriptions, l'élimination des caractéristiques monastiques, à l'exception de l'office divin, maintenu en dehors des collèges (s, 13), l'existence d'une longue section sur les ministères (s, 42-56), écho du règlement des missions. La structure de la Société comprend d'ores et déjà des provinces (s, 57), le second noviciat et le voeu de stabilité (s, 95), etc. Beaucoup de traits caractéristiques de nos constitutions actuelles, surtout dans l'ordre des pratiques ascétiques ou des conseils spirituels, se trouvent déjà dans cette rédaction. On en trouvera l'indication dans la « Tabella concordantiarum » des Antiquiores textus (fasc. introd., pp. 39-87). Bref, la Société de Marie a déjà la physionomie spirituelle qui sera la sienne sous le généralat du P. Colin. Mais on n'a pas là un corps de lois complet et proportionné, l'importance donnée à certains détails (cf. s, 13, 79) contrastant avec le peu de données concernant le gouvernement de la congrégation. Il manque encore à la règle de la Société une structure solide. Cette structure, le P. Colin va la trouver dans les constitutions de la Compagnie de Jésus.

3. De 1833 à 1836.

De son séjour romain, le P. Colin revint persuadé de la nécessité de reprendre son travail sur des bases nouvelles, à la fois plus larges et plus simples (cf. doc. 637). A cela l'avaient déterminé à la fois les avis reçus de nombreux membres de la curie romaine ( cf. doc. 303 ) et la découverte qu'il avait faite, dans la biblioteca Casanatense, des constitutions de la Compagnie de Jésus (cf. docc, 564, § 3, et 819, § 88, a).

Entre son retour de Rome et la réunion de septembre 1836, notamment durant les mois de février et mars 1836 (cf. doc. 377 et supra p. 112), le P. Colin travailla donc à rebâtir sa règle. Le résultat, sans doute encore incomplet, fut commenté aux confrères durant la réunion des 20-24 septembre (cf. doc. 403, passim).

Cet état de la règle nous est connu par un Epitome manuscrit qui en contient les deux premières parties (cf. Ant. textus, fasc. 2, pp. 15-29). Cette division en parties et surtout le contenu de celles-ci manifestent une dépendance étroite des constitutions ignatiennes. Cette même dépendance se retrouve, moins accentuée cependant, dans les constitutions de 1842, qu'il est temps de considérer maintenant.

 

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LE TEXTE DE 1842. ORIGINE ET SOURCES

Sous le nom de constitutions de 1842, on désigne communément le texte des règles de la Société qui fut approuvé lors du chapitre général des 18-24 avril 1842, porté à Rome par le P. Colin le mois suivant et copié ensuite à plusieurs exemplaires dans la Société. Une édition critique de ce texte basée sur les six exemplaires connus alors a été publiée en 1955 dans le fasc. 2 des Antiquiores textus, pp. 31-105. Depuis lors, un septième exemplaire, celui du P. Eymard, a été découvert dans les archives des pères du Saint-Sacrement et cédé à la Société de Marie.

1. Circonstances de la rédaction.

Il est clair que ce texte, qui a été fixé d'une manière stable au printemps 1842, est, pour l'essentiel, bien antérieur à cette date. Il représente une étape du long travail de refonte et de remaniement que subissaient depuis Cerdon les constitutions de la Société. Plus précisément, on doit y voir le quasi-achèvement - on verra en effet qu'il s'agit d'un travail incomplet - du travail entrepris par le P. Colin après son premier voyage à Rome, travail qui avait pour but de reprendre l'ensemble de la législation mariste dans un cadre emprunté fondamentalement à la Compagnie de Jésus.

Les premiers chapitres de ce texte, qui se trouvent déjà équivalemment dans l'Epitome, doivent remonter à 1836. D'autres éléments durent être rédigés entre 1837 et 1841, mais on sait par plusieurs témoignages que le P. Colin n'eut, durant cette période, le temps de se livrer à aucun travail suivi sur les règles (cf. doc. 424, § 4).

Finalement, le P. Colin réussit à se libérer de la fin décembre 1841 au 14 avril 1842 et à consacrer, durant cette période, la majeure partie de son temps à l'achèvement des constitutions, dans le calme de la Capucinière de Belley (cf. OM 2, p. 237). Fut certainement rédigé à ce moment-là le chapitre sur le supérieur général (cf. article sur le De Societatis spiritu paru dans les Acta S.M., t. 6, pp. 310 et 312) et sans doute tout ce qui concerne les biens temporels et le gouvernement. Quand il s'arrêta, le P. Colin avait conscience d'avoir fait l'essentiel (cf. Ant. textus, fasc. 2, p. 7).

2. Emprunts à l'« Institutum Societatis Jesu ».

Sur le contenu de cet Institutum (collection de documents constituant le droit de la Compagnie de Jésus), cf. Ant. textus, fasc. 6, p. 5. Les emprunts que le P. Colin y a faìts sont considérables, et, quand il en a parlé, sur la fin de sa vie, en réponse à des critiques qui lui étaient adressées à ce sujet (cf. Ant. textus, fasc. 6, p. 194), le P. Fondateur ne se souvenait sans doute plus très précisément de leur étendue. Il ne s'était pas contenté, en effet, de puiser dans l'Examen et les Constitutiones, mais aussi dans la Formula instituti, les Regulae et l'Epistola de virtute obedientiae.

Voici l'indication sommaire des principales correspondances entre les constitutions de 1842 et l'Institutum Societatis Jesu :

Const. 1842 Institutum S. J.

cap. I Formula instituti; Examen

II Examen; Const., 1ª pars

III Const., 3ª pars; Regulae magistri novitiorum

IV Const., 6ª pars, Cap, I-II

V Const., 2ª pars

VI Const., 6ª pars, Cap, III, V; Instructio ad reddendam Conscientiae rationem

VII Sans parallèle

VIII Const., 9ª pars, Cap. I-III

IX Sans parallèle

X Const:, 9ª pars, Cap. I-III

XI Regulae consultorum

XII Const., 10ª pars; Epistola de vìrtute obedientiae.

Il est aisé de se rendre compte, par ce simple tableau, que le P. Colin a gardé la plus complète liberté vis-à-vis du plan des constitutions ignatiennes, mais qu'il n'a pas hésité, d'autre part, à puiser, pour dix sur douze des chapitres de ses propres constitutions, à des éléments de la légìslation jésuite.

Voici maintenant l'indication plus précise des passages du texte de 1842 qui sont en dépendance de cette législation de la Compagnie. On indique seulement ici les numéros des constitutions de 1842. Les textes correspondants de l'Institutum Societatis Jesu sont indiqués dans la seconde « Tabella concordantiarum » des Antiquiores textus (fasc. introd., pp. 90-110) :

fins et moyens (1-3), genre de vie (5-6), union des membres (1(r17), principe des différents gradus dans la Société (20-26), interrogatoires des postulants et empêchements (27-34), tout ce qui concerne le noviciat (46-103), l'essentiel du chapitre sur les voeux (106-145), l'essentiel de ce qui concerne les renvois (146-152), de nombreux éléments du De quibus abstinere debent (165-171), compte de conscience (172-177), obligatian des constitutions (185-186), portrait du supérieur général (201-210), ses devoirs (211-228), ses aides (229-235), l'essentiel de ce qui concerne sa déposition (241-251.) et l'attitude de la Société à son égard (296-301), le chapitre général (302-309), quelque chose des devoirs des assistants (340-354), l'obéissance (360-361).

On n'a pas à s'étonner que, sur tous ces points, le P. Colin ait tenu à s'inspirer de la manière de faire des Jésuites. Dès l'origine, la Société de Marie avait été pensée en parallèle avec la Société de Jésus. Congrégation active ayant les mêmes fins principales et les mêmes ministères que cette dernière, la Société de Marie, dès lors qu'elle envisageait de se donner une structure interne adaptée à sa mission, ne pouvait mieux faire que de prendre modèle sur son aînée. Beaucoup d'autres congrégations actives ont d'ailleurs fait de même depuis le XVIe siècle. Au « fìnalisme dominateur » du texte ignatien et à la structure très centralisée de la Compagnie, on peut certes préférer la structure démocratique des ordres mendiants, la formule des sociétés de prêtres du XVIIe siècle français ou la sobriété canonique des constitutions contemporaines. C'est un fait que le P. Colin a profondément marqué notre code de lois mariste de l'empreinte ignatienne, et ce trait fait depuis lors partie essentielle de la physionomie de la Société.

3. Eléments propres au P. Colin.

Les emprunts faits aux textes jésuites n'ont pas empêché le P. Fondateur de mettre, dans un texte dont il avait lui-même conçu le plan, non seulement l'esprit qu'il désirait pour sa société, mais un grand nombre de prescriptions expressives de cet esprit et même des conceptions assez originales en matière de gouvernement. Il faut distinguer ici entre les éléments préexistant dans les rédactions antérieures de la règle, pour autant qu'on les connaît, et ceux qui semblent n'être apparus que dans la rédaction de 1842.

Les éléments du texte de 1842 déjà présents dans les rédactions antérieures sont signalés dans la « Tabella » déjà citée des Ant. textus (fasc. introd., pp. 90-110). On indique ici les principaux d'entre eux :

fidélité au Saint-Siège (4), respect pour le Saint-Siège et les évêques (8-10), importance de la science et son rapport avec la piété (12-14), la conception de l'obéissance source de paix (114), l'essentiel du Beatae Mariae sint specialiter devoti (178-184), de nombreux éléments concernant les devoirs du supérieur général (221, 223, 224, 228), les branches de la Société de Marie (236-240).

Les éléments qui paraissent neufs dans la rédaction de 1842 sont principalement:

la formule de l'apostolat marìste (18), la conception du second noviciat ct du voeu de stabilité (25-26), des notations sur l'amour du silence (64), les mystères du rosaire (70), la chasteté (108, 109), la générosité (125), la bonté à garder dans les renvois (149), l'essentiel de l'article sur les secours spirituels (153-164), le premier samedi du mois (181), l'essentiel du chapitre 7 sur les biens temporels (187-200), tout le chapitre sur la vacance du généralat et la désignation du nouveau supérúeur (252-295), les dispositions concernant le chapitre provincial et la congrégation des députés (310-327), l'essentiel de ce qui concerne l'élection et les devoirs des assistants (328-354), les développements sur l'humilüé (357-359).

4. Bilan sommaire.

Dans toute appréciation sur le texte de 1842, iI faut se souvenir que, dans l'esprit du P. Colin, ce texte était incomplet. Non seulement le dernier chapitre est inachevé, mais, s'il en avait eu le temps et la santé, le P. Colin aurait grossi le corps même des constitutions de bien d'autres éléments. C'est ainsi que le texte ne contient pratiquement rien sur les ministères, point sur lequel le P. Fondateur n'aurait pas manqué de donner une note caractéristique.

Ceci dit, on ne peut que reconnaître à la fois l'ampleur des emprunts faits par le P. Colin à l'Institutum des Jésuites et le caractère extrêmement personnel et original de sa règle. La littéralité même de certains emprunts, tels ceux qui concernent le noviciat ou le supérieur général, rend encore plus sensibles les touches originales que le P. Fondateur introduit sans cesse en remaniant, abrégeant ou complétant le texte ignatien. On peut comparer, par exemple a, 60 et J, 385; a, 203-204 et J, 261-262. Conscient du fait qu'une règle religieuse contient inévitablement une forte proportion d'éléments repris à la tradition spirituelle antérieure, le P. Colin voulut prendre un point de référence solide et exprimer sa pensée à partir de là. Le résultat est que nos constitutions bénéficient ainsi d'une double expérience spirituelle, et le dialogue qui s'y instaure si souvent entre saint Ignace et le P. Colin n'est pas une de leurs moindres richesses.

En tout cas, pas un instant le fait d'avoir pris saint Ignace pour guide n'a gêné le P. Colin dans l'affirmation très nette des caractéristiques de la Société telles qu'il les avait entrevues dès Cerdon ou découvertes au cours des années suivantes: un sens clair de la vocation mariale de la Société et ses conséqucnces tant au point de vue spirituel (dévotion à Marie, note d'humilité, de sollicitude, de bonté) qu'au point de vue apostolique (formule générale de l'apostolat mariste, place de la Société dans l'Eglise et rapports avec l'extérieur). La physionomie de la Société de Marie se dégage clairement du texte tel qu'il est, et c'est elle qu'il faut essayer de carac.ériser maintenant.

 

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CONTENU DU TEXTE

Voici donc, brossé à grands traits, le portrait dE la Société de Marie tel qu'il ressort des constitutions de 1842.

1. Données fondamentales.

La Société de Marie est une congrégation de droit pontifical à voeux simples et perpétuels (1-2). Son but et son esprit découlent normalement de son nom, qui est celui même de Marie. A la base de la congrégation, se trouvent donc les grandes idées du P. Fondateur sur la vocation et la mission de la Société de Marie, déjà étudiées au cours des précédentes conférences.

Les fins de la Société sont les deux fins classiques de toute congrégation active depuis saint Ignace. Le P. Colin en a ajouté une troisième, la défense de la foi catholique, bien caractéristique de son époque de crise religieuse où les fondements mêmes de la foi sont attaqués.

Les voeux sont perpétuels dès le début, les voeux temporaires représentant alors une exception. Ils sont simples et non solennels, à cause principalement de l'impossibilité de concilier avec les lois françaises le dépouillement définitif des biens exigé par le voeu solennel de pauvreté. Si le P. Colin a tardé à faire approuver les constitutions, c'est en partie dans l'espoir que les voeux solennels puissent redevenir possibles (cf. Ant. textus, fasc. 6, p. 155). Quant à la conception de ces voeux, elle est fondamentalement ignatienne, c'est-à-dire qu'elle tend à rendre le religieux apte au service de Dieu et du prochain (cf. nn. 106 et suivants).

Le genre de vie est simple et commun; il ne comprend ni l'obligation du choeur ni les pénitences monastiques et reste, comme dans la Compagnie de Jésus, celui d'ouvriers apostoliques que rien ne doit entraver dans leur apostolat (5-7).

Ce dernier comprend la prédica.ion missionnaire sous toutes ses formes, les oeuvres de charité, l'éducation (3). Pratiquement, il est universel (8), mais il doit toujours être exercé de telle manière que le Mariste paraisse inconnu et caché, afin de mieux atteindre la fin qu'il se propose ( 18 ) ,

Comme la Société de Jésus, la Société de Marie est alors hiérarchisée en plusieurs classes ou gradus variant suivant le lien plus ou moins étroit contracté par le sujet ou l'emploi qui est le sien: aspirants non éprouvés, aspirants éprouvés, frères coadjuteurs, profès non stables, profès stables. Les membres de cette dernière classe doivent représenter un corps d'élite sévèrement choisi (20-26).

2. Formation des novices.

La formation des sujets est conçue sur le modèle ignatien, c'est-à-dire très finalisée, pensée tout entière en vue de la Société ( cf. 46, 47, 60, 66, 68, 75 ), basée sur l'obéissance et l'abnégation (47, 60, 66), avec le souci de l'uniformité (65). Une grande place y est donnée aux rendements de compte de conscience (56, 62) et aux examens (101-105). L'horaire du noviciat est calqué littéralement sur celui des Jésuites (81-100), et le P. Colin avait fait demander au P. Gury, maître des novices jésuites français, un compte rendu détaillé des règles qui se pratiquaient alors au noviciat de Montrouge. Toutefois, le P. Fondateur lui-même mettra en garde le P. Maîtrepierre contre la tentation de trop imiter les Jésuites, dont l'esprit n'est pas le même que le nôtre.

Par ailleurs, cette formation reste très mariste, dominée comme elle est par l'exemple de Marie (53), le petit office et le rosaire (57, 70) et certaines valeurs mariales caractéristiques telles que l'amour du silence (64).

3. Règles communes.

La vie spirituelle du Mariste telle qu'elle est esquissée dans ce texte est nettement tendue vers l'obtention de la fin suprême, la gloire de Dieu ( 153 ), et l'utilisation rationnelle de moyens pour y parvenir (154 et suivants).

Grande importance est donnée aux « exercices » spirituels, comme dans la tradition ignatienne, que le P. Colin connaissait par Rodriguez et qu'il entendait voir suivie par les Maristes. On notera que méditation et examen viennent ainsi avant les sacrements (154-158). La confession doit se faire à certains confesseurs désignés, et la communion n'est autorisée que tous les huit jours pour ceux qui ne sont pas prêtres. Quant au compte de conscience aux supérieurs, il est requis avec la même extension que dans la Compagnie de Jésus (172-177).

Ce qui individualise le plus la Société à ce niveau, c'est le maintien du principe de la récitation commune de l'office en certains cas, et surtout les pratiques de dévotion mariale rassemblées dans le Beatae Mariae sint specialiter devoti.

4. Finances.

La Société peut avoir des revenus, biens meubles ou immeubles, mais seulement le strict nécessaire (197). Les religieux gardent le domaine radical de leurs biens, et le souci est très net de toujours sauvegarder la légalité des actes de propriété. En bref, on a là le régime de pauvreté qui est celui des congrégations à voeux simples dans les Etats modernes.

La note mariste apparaît dans la question des procès. Tout en défendant ses droits, la Société doit penser à la répercussion de ses actes et être sensible au scandale possible ( 194-195). On retrouve là l'esprit de l'Ignoti et occulti.

Encore plus caractéristique est la disposition, abandonnée plus tard à regret par le P. Colin, selon laquelle le superflu de chaque maison devait être mis à la disposition de l'évêque du lieu (200).

5. Gouvernement.

II est très centralisé, à l'image de celui de la Compagnie de Jésus, avec un général élu à vie qui nomme provinciaux et supérieurs. Un cardinal protecteur est prévu.

Le supérieur général est un homme de Dieu, maître de lui-même comme de la Société, capable de se donner tout entier à cette dernière, avec de solides qualités humaines d'intelligence, d'activité et de gouvernement. A ce portrait bien ignatien se mêlent les traits du supérieur mariste déjà décrit par le Summarium: sollicitude maternelle (221), confiance en Marie (223), opposition à l'esprit du monde et à la cupidité (224). Par ailleurs, le supérieur de la Société de Marie a la responsabilité des quatre branches de la Société (236-240) .

Pour la nomination d'un nouveau général, est prévue, au moins à titre de possibilité, sa désignation par le testament du prédécesseur, avec confirmation de ce candidat par un chapitre restreint (273-295). On ne sait où le P. Colin avait pris cette idée, que critiquera à Rome le P. Rozaven.

Quant au chapitre général, le P. Fondateur pense comme saint Ignace qu'il doit être le plus rare possible. Pour compenser, il prévoit, comme les constitutions jésuites, la réunion, tous les trois ans, de députés élus par les provinces et chargés d'examiner l'état de la Société ainsi que l'éventualité de réunir le chapitre général (318-327).

 

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UTILISATION ET INFLUENCE

Les constitutions furent régulièrement expliquées, sous le généralat du P. Colin, durant les retraites, à commencer par celle de 1836, ainsi qu'au noviciat. En ce sens-là, elles ont dès ce moment exercé sur la Société une influence durable, même si le P. Colin évitait d'urger l'application, sur certains points, de ce texte non encore approuvé par le Saint-Siège.

Pourtant, dans l'esprit du P. Fondateur, ce texte était inachevé. Durant son généralat, le P. Colin n'a cessé de parler au futur de ce qu'il mettrait dans la règle. Il oscillait d'ailleurs périodiquement entre deux extrêmes: prévoir les moindres détails par souci d'uniformité ou rester dans les principes généraux afin de ne pas se lier.

Peu désireux d'obtenir prématurément l'approbation de ce texte, le P. Colin, après l'avoir présenté officieusement à l'examen du Saint-Siège en 1842, le retira. Par la suite, il songea un instant à ne faire approuver que l'essentiel. Pratiquement, il attendait la possibilité de retravailler le texte et fit en ce sens plusieurs tentatives pour se dégager des soucis de l'administration.

Finalement, au printemps 1849, il se retira dans le midi de la France à cet effet. C'est alors, sans doute, qu'il prépara une rédaction abrégée du texte de 1842 dont étaient éliminés: le cardinal protecteur, les branches de la Société, l'obligation de verser le superflu des maisons dans la caisse épiscopale, etc. On ne sait si des éléments nouveaux furent rédigés à cette époque.

Aujourd'hui, le texte de 1842 reste à la base de nos constitutions actuelles pour ce qui est des idées fondamentales de la Société, de la formation des novices, des voeux, des règles communes, des principes de gouvernement. C'est à ce texte de 1842, lui-même fortement inspiré des constitutions jésuites, que les nôtres doivent leur caractère et leur vocabulaire un peu archaïques. Certaines de ces expressions anciennes (Institutum, domus et collegia) viennent d'être remplacées par d'autres lors du dernier chapitre général. On sait par ailleurs que, en 1868-1870, le P. Fondateur, ayant repris ce texte de 1842 comme base de son travail définitif, lui ajouta des articles relatifs aux exercices de piété, à l'esprit de la Société, aux ministères, et refondit la partie du gouvernement.