COURS D'HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ DE MARIE

Auteur : Jean Coste S.M.


ONZIÈME CONFÉRENCE
LA MISSION DE L'OCÉANIE OCCIDENTALE
1835-36

Documents à consulter:

OM 1, pp. 763-820; docc. 359; 360; 366-372; 378; 382-383; 387-390; 394-395. OM 2, docc. 641; 657; 751; 752, § 38; 753; 757, §§ 65 et 69; 764.

Ecrits de s. Pierre Chanel, doc. 67.

 

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LA S. C. DE LA PROPAGANDE ET L'OCÉANIE AVANT 1835

1. Premiers essais d'évangélisation.

 

Dès le XVIe siècle, les découvreurs espagnols et portugais repérèrent quelques îles océaniennes. Des tentatives d'évangélisation furent faites à Hawai à la fin du XVIe siècle, aux Mariannes par les Jésuites au XVIIe siècle, à Tahiti par des Franciscains vers la fin du XVIIIe siècle.

C'est le capitaine Cook qui, par ses trois voyages échelonnés entre 1768 et 1779, détruisit la légende persistante du continent austral, dressa véritablement la carte de l'Océanie et offrit à la couronne britannique un nouveau champ d'expansion coloniale.

A partir de là, les sociétés missionnaires protestantes anglaises entreprirent l'évangélisation des archipels océaniens, débarquant à Tahiti, à Tonga, etc., en 1797.

2. Premiers actes de la S. C. de la Propagande.

C'est comme un prolongement des missions de l'Afrique du sud (cap de Bonne-Espérance et île Bourbon) que la Propagande envisagea originellement l'organisation d'une mission dans le Pacifique.

Le 7 novembre 1798, elle confiait à la Société de la Foi de Jésus l'évangélisation d'un territoire immense allant du cap de Bonne-Espérance au Japon et englobant également la Nouvelle-Hollande ( =Australie, devenue colonie britannique depuis le début de l'année) ainsi que les îles adjacentes. La décision resta sans lendemain.

En 1816, des pouvoirs pour l'Australie furent donnés au prêtre irlandais Jeremiah O'Flynn et en 1819 à Mgr Slater, bénédictin anglais déjà vicaire apostolique du Cap et de l'île Maurice. Il ne semble pas que ces pouvoirs se soient étendus aussi aux îles du Pacifique.

Le 3 décembre 1825, l'archipel des Sandwich ( = Hawai) fut confié aux pères des Sacrés-Coeurs de Picpus, récemment fondés.


3. Le projet de M. de Solages.

En 1829, M. de Solages, vicaire général de Pamiers nommé préfet apostolique de l'île Bourbon près de Madagascar, songea à faire de cette île le point de départ de l'évangélisation de l'Océanie australe. La S. C. de la Propagande accueillit favorablement son plan et, le 16 janvier 1830, lui confia par décret la préfecture apostolique des îles du Pacifique avec les limites suivantes :

est : île de Pâques
ouest : Nouvelle-Zélande
nord : Equateur
sud : tropique du Capricorne.

La Nouvelle-Zélande est expressément comprise dans cet ensemble.

Le 8 juin 1833, la S. C. de la Propagande détacha de cette vaste préfecture apostolique les Marquises, les îles de la Société et les Tuamotu, et les confra aux pères de Picpus, qui venaient d'être expulsés d'Hawai, sur lequel ils conservaient cependant juridiction. L'ensemble de ces archipels confiés aux pères de Picpus constitua le vicariat de l'Océanie orientale, avec les limites suivantes :

est : île de Pâques

ouest: archipel de Roggewein ( =îles Manihiki)

nord : Hawai

sud : tropique du Capricorne.

Quant à M. de Solages, il conservait le reste de son vicariat primitif.

En fait, à cette date M. de Solages était déjà décédé depuis six mois à Madagascar, où il avait essayé de pénétrer. Quand ils eurent connaissance de cette mort, les pères de Picpus demandèrent que leur juridiction soit étendue sur la partie occidentale de la préfecture primitive, désormais vacante. La Propagande, toutefois, ne crut pas devoir accéder à leur requête, attendant de voir comment tournerait la mission de l'Océanie orientale (sur tout ceci, cf. OM 1, pp. 766-768 et doc. 351 ).

 

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LE PROJET D'UN VICARIAT D'OCÉANIE OCCIDENTALE

1. Première idée.

En fait, les pères de Picpus ayant obtenu un beau succès aux îles Gambier, on estima à Rome en 1835 que le temps était venu d'instituer une mission semblable dans la partie occidentale de la préfecture confiée originellement à M. de Solages et désormais vacante.

C'est durant l'octave de La Pentecôte, au début de juin 1835, qu'il fut décidé oralement de combler ce vide en créant un vicariat de l'Océanie occidentale. Le pape Grégoire XVI, ancien secrétaire de la Propagande, semble avoir eu un rôle personnel dans cette affaire (cf. doc. 751, § 1).

2. L'offre faite à M. Pastre.

Pour cette mission, la Propagande, voyant une fois de plus l'Océanie dans le prolongement des îles adjacentes de l'Afrique, eut recours à un ancien préfet apostolique de l'île Bourbon, l'abbé Pastre, qui avait précédé M. de Solages dans cette charge.

Venu en Europe en 1829 pour chercher des ressources pour sa mission, l'abbé Pastre avait été empêché d'y retourner pour des raisons de santé, et c'est alors que M. de Solages avait été nommé à sa place. Retiré à Lyon, où il était chanoine de la primatiale, M. Pastre serait peut-être disponible pour cette nouvelle mission. C'est en ce sens que le cardinal Fransoni lui écrivit le 4 juillet 1835 (doc. 337).

M. Pastre répondit que son âge et sa santé l'obligeaient à refuser, et Mgr de Pins attesta la validité de ses excuses (cf. docc. 338-339).

3. Comment on pensa aux Maristes.

Pour ne pas laisser cependant la Propagande sur un refus pur et simple, M. Pastre chercha s'il pourrait lui proposer quelqu'un pour prendre sa place. Il interrogea à ce sujet un des vicaires généraux de Lyon, M. Cholleton. Ce dernier songea aussitôt à M. Pompallier, alors aumônier au pensionnat de la Favorite, qu'il tenait en grande estime et qui lui avait manifesté le désir de se consacrer aux missions (cf. doc. 657).

M. Pastre eut une entrevue avec M. Pompallier, en fut satisfait et lui parla de la mission projetée (cf. doc. 341).

M. Pompallier, bien que n'étant lié par aucun voeu et vivant depuis plus de deux ans séparé des autres aspirants maristes, ne crut pas pouvoir répondre de lui-même. Après avoir consulté ses confrères, il écrivit à Jean-Claude Colin, supérieur central, en lui faisant part de la proposition qui lui était faite (cf. docc. 340, § 1; 341).

M. Colin lui répondit d'accepter, entrevoyant déjà les heureuses conséquences que cette acceptation pourrait avoir pour l'approbation de la Société et souhaitant que, dans la lettre à la Propagande, il soit fait explicitement allusion aux branches des pères et des frères, qui pourraient fournir des sujets à la mission (cf. doc. 340).

4. Les Maristes proposés à la Propagande.

Le 7 août 1835, M. Pastre écrivit au card. Fransoni pour lui dire qu'il avait parlé à un membre de la société des Maristes et y joignit la lettre de M. Colin à M. Pompallier (doc. 341 ). La Propagande se trouvait donc saisie de ce rebondissement imprévu de l'affaire.

Toutefois, cette lettre s'étant croisée avec une autre du card. Fransoni en date du 15 août (doc. 342), une certaine confusion s'ensuivit dans la correspondance. Répondant à cette lettre du 15 août, M. Pastre fait savoir que Mgr de Pins agréait l'idée de la mission (cf. doc. 343, § 2). Le card. Fransoni écrivit donc à Mgr de Pins le 22 septembre sans faire mention des Maristes (cf. doc. 344). L'archevêché de Lyon prenait ainsi en cette affaire une importance qui n'était pas prévue à l'origine.

Le hasard voulut que cette lettre du card. Fransoni restât un mois au secrétariat de l'archevêché sans être ouverte (cf. doc. 347, § 4). C'est seulement le 20 novembre que Mgr de Pins répondit, confirmant personnellement qu'il ferait tout pour trouver des missionnaires et que la société des prêtres de Marie pourrait en fournir (cf. doc. 349). Dès lors, la Propagande se trouvait en mesure de prendre une décision.

 

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LA DÉCISION DU 23 DÉCEMBRE 1835 ET SES SUITES

Le 23 décembre 1835, eut lieu sur cette question une réunion plénière de la S. C. de la Propagande. Le cardinal ponent devait être le card. Fesch, mais pour des raisons mal éclaircies, ce fut le card Castracane, également membre de la Congrégation, qui lut le rapport, dont l'auteur n'est pas connu.

Ce rapport, qui a été intégralement édité en OM 1 (doc. 351), commence par l'histoire des décisions de la Propagande sur l'Océanie depuis la proposition de M. de Solages en 1829. Puis, ayant raconté les succès rencontrés dans le vicariat d'Océanie orientale, il en vient à la création d'un vicariat d'Océanie occidentaIe, exposant les démarches faites auprès de M. Pastre et le recours de celui-ci aux Maristes. Il accorde une grande importance à la lettre de l'abbé Colin du 3 août (doc. 340), voyant surtout dans la lettre du 20 novembre de Mgr de Pins un appui donné à cette candidature des Maristes.

Le rapport se terminait par la mention des deux points ou dubbi à résoudre. Au premier, Faut-il créer un nouveau vicariat de la Polynésie occidentale? les cardinaux répondirent affirmativement. Au second, A qui faut-il confier cette nouvelle mission? la réponse ne fut pas moins nette : Presbyteris marianae congregationis Lugdunensis et Bellicensis. On ajoutait qu'il faudrait s'efforcer d'obtenir, tant par M. Pastre que par Mgr de Pins, le consentement formel du supérieur de la Société en question, lui 1aissant entrevoir la possibilité d'obtenir par là l'approbation de la branche des prêtres (doc. 352). C'est donc bien à la Société de Marie comme telle et non à M. Pompallier, dont on ignorait encore le nom à Rome (cf. doc. 351, § 20), encore moins à l'archevêché de Lyon, que, le 23 décembre 1835, fut confié le vicariat de l'Océanie occidentale.

A ce vicariat le rapport donnait comme limites celles de la partie occidentale de la préfecture initiale, à savoir:

est : archipel de Roggewein
ouest : Nouvelle-Zélande
nord : Equateur
sud : tropique.

La Nouvelle-Zélande était expressément comprise dans cet ensemble, dont paraissent avoir été exclues la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides, les Salomon.

Le 10 janvier 1836, le secrétaire de la Propagande, Mgr Mai, proposa à l'approbation pontificale les décisions du 23 décembre. Entre temps, toutefois, les limites du vicariat projeté avaient été considérablement agrandies, l'idée étant désormais d'y inclure toutes les îles comprises entre le vicariat de l'Océanie orientale, confié aux pères de Picpus, et les archipels déjà théoriquement occupés par d'autres missionnaires, en l'espèce : les Mariannes, les Carolines et les Moluques. Le pape ratifia ces décisions, et c'est ainsi le 10 janvier 1836 que l'Océanie occidentale fut juridiquement confiée à la Société de Marie.

La S. C. des Evêques et Réguliers fut alors officiellement informée de ce fait nouveau concernant la Société de Marie, dont le dossier fut reconsidéré (cf. doc. 367). On verra dans la prochaine conférence comment ce nouvel examen aboutit, dans des délais très rapides, à l'approbation de la société des prêtres.

La même décision pontificale du 10 janvier fut communiquée à Mgr de Pins et à M. Pastre (docc. 359 et 360), qui tous deux répondirent en proposant comme chef de mission M. Pompallier (cf. docc. 369 et 371). Le 17 avril, le pape ratifia ce choix et nomma M. Pompallier vicaire apostolique de l'Océanie occidentale (doc. 383). Le 13 mai, quinze jours après le bref Omnium gentium approuvant la Société de Marie, était émis le bref Pastorale officium, qui expédiait officiellement cette nomination (doc. 390).

Dans ce document, il était fait allusion à la décision récemment prise de créer une mission en Océanie occidentale et de la confier à la Société de Marie. Pour permettre la réalisation de cette mission, M. Pompallier, membre de ladite Société, était nommé vicaire apostolique. Sa juridiction s'étendait à l'ouest de la perpendiculaire de Mangea sur tous les territoires non encore soumis à une autre juridiction, pratiquement sur toute l'Océanie mariste actuelle, plus les Gilbert, les Marshall, la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, les îles de l'Amirauté, la Nouvelle-Guinée et îles adjacentes. En 1844, quand le Saint-Siège détachera du vicariat de l'Océanie occidentale le vicariat de Micronésie, il mentionnera même les Carolines, sur lesquelles, contrairement à ce que pensait Mgr Mai, aucune juridiction n'était exercée en 1836 et qui dès ce moment-là faisaient donc partie virtuellement du vicariat de Mgr Pompallier.

Ce vicariat originel n'était pas à échelle humaine. Il sera rapidement divisé et subdivisé, et tous les territoires sur lesquels les Maristes n'auront pas les moyens de pénétrer seront progressivement confiés, au cours du XIXe siècle, à d'autres congrégations, principalement aux missionnaires du Sacré-Coeur d'Issoudun.

 

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PRÉPARATION DE LA MISSION

Appelé à Rome par le card. Fransoni, Mgr Pompallier, devenu évêque de Maronée, fut sacré le 30 juin 1836 dans l'église de l'Immaculée-Conception. Il reçut oralement ou par écrit de nombreuses instructions et privilèges de la Propagande.

Entre temps, en France, le choix des sujets pour la mission s'était fait. MM. Bret, Chanel et Servant s'étaient portés volontaires (cf. doc. 371). Un prêtre de Lyon qui aspirait aux missions, M. Bataillon, avait été invité directement par M. Cholleton (cf. doc. 372) à se joindre à eux et était venu prendre contact avec les Maristes à Valbenoîte. La candidature de trois frères avait été retenue, en l'espèce celle des frères Marie-Nizier (Delorme), Xavier (Luzy) et Michel (Colombon). D'après son premier biographe, le P. Champagnat se serait lui-même porté volontaire, mais le P. Colin lui aurait demandé de rester en France.

Mgr Pompallier avait ramené de Rome un jeune Italien, Giovanni, qui s'était attaché à lui et qu'il pensait emmener en mission. Mais la vocation de ce jeune homme s'avéra douteuse et, ayant refusé d'entrer dans la Société, il ne fut pas joint aux missionnaires partants.

Après l'élection du P. Colin et l'émission des voeux le 24 septembre 1836 (cf. douzième conférence), les missionnaires firent leurs bagages en vue du départ, prévu pour le 25 octobre. Le 15 octobre, les PP. Chanel et Bataillon consacrèrent la mission à la sainte Vierge dans la basilique de Fourvière.

En fait, de multiples contretemps retardèrent le départ, et c'est seulement le 24 décembre que les huit missionnaires quittèrent le Havre pour l'Océanie à bord de la Delphine. L'épopée missionnaire mariste commençait, dont les autres parties de ce cours permettront de suivre le développement.